Le GreenTech Forum, premier événement dédié à la réduction de l’empreinte environnementale du numérique, s’est déroulé les 30 novembre et 1er décembre 2021 à l’Espace Grande Arche de La Défense et a accueilli plus de 1200 visiteurs.

Contexte et genèse

L’empreinte environnementale du numérique

Les différentes études sur le sujet estiment que le numérique représente aujourd’hui jusqu’à 4% des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial. La loi REEN sur la réduction de l’empreinte environnementale du numérique qui a été promulguée le 15 novembre dernier après deux ans d’examen provoque depuis plusieurs mois une effervescence autour du sujet et a déclenché de nombreuses initiatives.

L’initiative Planet Tech’Care

Pour qui n’aurait jamais travaillé en ESN – entreprise de services du numérique – , il convient de rappeler ce qu’est Numeum. Il s’agit du premier syndicat des entreprises du numérique en France, né de la fusion du Syntec Numérique et Tech In en juin dernier. Il y a un peu plus d’un an, le 8 octobre 2020, l’organisme, qui s’appelait donc encore Syntec Numérique, a lancé l’initiative Planet Tech’Care, avec pour ambition de fédérer tous les acteurs du numérique responsable et de les accompagner dans leur démarche. Cette initiative coïncidait avec l’examen en première lecture au Sénat du projet de loi Chaize sur la réduction de l’empreinte environnementale du numérique le 12 octobre 2020. Quelques mois plus tard le GreenTech Forum était né.

Un modèle freemium pour plus d’impact

Planet Tech’Care et l’organisateur Formule Magique ont choisi pour la première édition de ce rendez-vous professionnel un modèle « Freemium » avec une partie accessible gratuitement – espace d’exposition, ateliers et plénières d’ouverture et de clôture – , et une partie payante – conférences – , ce qui a permis d’accueillir les nombreux visiteurs souhaitant s’informer et se former sur le sujet. Le village accueillait une cinquantaine d’exposants répartis en cinq catégories : les acteurs de la formation, les sociétés de services, les éditeurs de solutions d’évaluation, les acteurs historiques (Ateliers du Bocage) et nouveaux venus de la réparation et du reconditionnement (la SCIC Commown, Itancia), et les startups. Un savant mélange de GreenIT et IT for Green. Une partie du plateau était également consacrée à des ateliers thématiques, dont l’un avait pour objet la présentation de la démarche pédagogique du Mooc « Impacts environnementaux du numérique » de l’INRIA. Les conférences, sous forme de tables-rondes réunissant plusieurs intervenants, se déroulaient dans deux espaces séparés proches de l’entrée.

Inauguration ministérielle

Organisé sous le haut-patronage de Planet Tech’Care, le forum a été inauguré par Véronique Torner, administratrice de Numeum, puis un discours en différé de la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili qui  a annoncé l’extension de l’indice de réparabilité de la loi AGEC aux tablettes numériques et l’ouverture imminente d’un Appel à manifestation d’intérêt sur le « verdissement du numérique ». Le Secrétaire d’État chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques Cédric O a ensuite tenu une allocution dans laquelle il a rappelé la résonance entre transitions écologique et numérique, mis en garde contre des déclarations d’intention non suivies d’engagements, souligné l’importance de la mesure, et énuméré un certain nombre de leviers en faveur d’une plus grande sobriété numérique et énergétique, en particulier le rythme de renouvellement des terminaux et l’innovation, déclarant en conclusion « On a besoin de numérique et que le numérique soit plus sobre ».

De la sobriété de la conception, l’IA et la 5G

Parmi les conférences très attendues, celles sur l’éco-conception et l’intelligence artificielle ont logiquement fait salle comble. Il y avait un peu moins de monde pour la table-ronde sur la 5G programmée sur la pause méridienne mais ces rendez-vous ont fait l’objet de débats animés.

L’éco-conception

L’éco-conception de service numérique a le vent en poupe ces derniers mois. En effet, c’est l’un des leviers de sobriété numérique le moins coûteux à mettre en œuvre, à condition d’être pris en compte en amont des développements. Le premier référentiel des 100 puis 115 bonnes pratiques sur le sujet, régulièrement mis à jour, est né il y a près de dix ans et a fait deux petits ces dernières semaines : le GR491 de l’INR – Institut du Numérique Responsable – qui rassemble 491 bonnes pratiques, et le Référentiel Général d’Ecoconception de Services Numériques – RGESN – de la Direction Interministérielle du Numérique qui en a sélectionné 79, publiés respectivement les 14 et 19 octobre 2021.

L’intelligence artificielle

L’IA est-elle sobre ? d’après Audrey Huvet de Devoteam Revolve, intervenante de la table-ronde « Green IA | IA for Green : l’intelligence artificielle responsable et au service de la transition écologique » ce n’est pas la technologie la plus sobre mais elle favoriserait dans une certaine mesure les économies d’énergie.

Il est cependant nécessaire de se poser en amont la question du besoin d’un projet d’IA. Est-il vraiment utile ? Il faut ensuite questionner la conception et les données, le niveau de précision requis étant proportionnel à la consommation énergétique et donc potentiellement très impactant.

Il n’existe pas à ce jour de référentiel de Green IA à destination des datascientists, mais l’INR a dédié un groupe de travail au sujet.

Il y a aussi une corrélation entre l’IA et la 5G.

La 5G

Le sujet de la 5G faisant déjà l’objet d’un débat public au niveau national, cela a logiquement été le cas lors de la conférence « 5G et sobriété numérique sont-elles compatibles ? ».

Le premier intervenant a défini quatre enjeux autour de la 5G : une industrie plus verte, l’inclusion numérique, la compétitivité et l’innovation, et la souveraineté.

Hugues Ferreboeuf, directeur du projet « Sobriété » au Shift Project a tenu à préciser ce qu’est la 5G, c’est à dire une augmentation des bandes de fréquence à 3,5 GHz, fréquence qui va augmenter jusqu’à 26 GHz dans quelques années, affirmant que la 5G était plutôt susceptible d’accentuer la fracture numérique que de la réduire. Derrière ce débat se dessine aussi selon lui un enjeu sociétal qui est « Quel type de société numérique voulons-nous et pour quoi faire ? ».

D’après Serge Abiteboul de l’ARCEP, la 5G, intimement liée à l’IoT et donc aux nouveaux usages, serait beaucoup plus sobre que la 4G car elle nécessite moins d’antennes. Mais c’est sans compter sur les effets rebond liés à l’accélération du trafic et au renouvellement induit des terminaux, vivement souligné par deux spectateurs pour lesquels il n’était pas entendable de la part d’un fabricant que « de toute façon les gens renouvellent leur smarphone tous les deux ans » dans un contexte de pénurie de ressources. Pour Serge Abiteboul de l’ARCEP, les conclusions des différentes études sur la 5G divergent et il est impératif de réaliser des ACV pour y voir plus clair et recueillir plus de données pour exploiter les modèles.

Ainsi la sobriété de la 5G, technologie initialement destinée à l’industrie 4.0, va dépendre des choix de déploiement dans les territoires et des usages qui en seront faits.

Au niveau des infrastructures la sobriété passera aussi par du stockage à froid sur bandes magnétiques.

La métrologie au cœur du débat

Dans les conférences

Raphael Guastavi, chef du service « Produits et efficacité matières » à l’ADEME a rappelé lors de la plénière d’ouverture l’importance de la mesure. En effet, c’est en mesurant que l’on peut déterminer à quel niveau se situent les impacts et fixer des objectifs de réduction. Au delà des impacts négatifs du numérique et ses effets rebond, il est aussi nécessaire de se pencher sur la mesure de ses externalités positives. La question du rapport coût/bénéfice est cruciale.

Mais mesurer le numérique est très complexe. S’il existe une estimation au niveau « macro », la prochaine étape est de pouvoir mesurer plus finement les impacts. L’analyse du cycle de vie, itérative, multi-étape et multicritère, est la méthode la plus fiable mais aussi la plus coûteuse en temps et en ressources. C’est une étape préalable qui permet d’identifier les décisions pertinentes à prendre en matière d’éco-conception des services numériques existants et permettre de tendre vers une forme de sobriété numérique. Le consortium NégaOctet, groupement constitué par des experts du sujet, DDemain, GreenIT.fr, APL DataCenter et LCIE, cellule du groupe Bureau Veritas, travaille depuis trois ans sur le sujet et vient tout juste de publier les résultats de ses travaux. L’ouverture de ces données environnementales qui sont le fruit du travail d’acteurs privés a fait l’objet d’un vif débat lors de la table-ronde « Mesurer son empreinte numérique environnementale : quels outils et référentiels de données ? ». En effet, une partie des données sera reversée gratuitement dans la Base IMPACTS® de l’ADEME, – comme le souligne Julia Meyer de l’ADEME, ces données seront plutôt destinées à un affichage environnemental – l’autre partie de la base demeurant payante en raison d’une subvention insuffisante des pouvoirs publics pour les mettre à disposition en Open Data. NégaOctet a peut-être trouvé la parade avec la constitution d’une association dont les adhérents seront habilités à utiliser l’ensemble de la base de données de facteurs d’impacts.

S’il faut reconnaître l’antériorité des acteurs historiques du numérique responsable, il est cependant urgent d’unir les forces. D’autres collectifs comme Boavizta tentent de faire avancer le sujet de la mesure de l’empreinte environnementale du numérique par la création d’une méthodologie ouverte et commune qui a donné lieu à un article (nouvel onglet) publié récemment sur l’empreinte numérique des serveurs.

Sur les stands

Ces derniers mois, de nombreux outils de mesure, ou plus exactement d’évaluation de l’empreinte environnementale et parfois aussi sociale du numérique ont vu le jour. La plupart des éditeurs de ces solutions étaient présents au GreenTech Forum, ce qui a permis d’obtenir plus de détails voire des démos de certains produits qui ont axé leur communication sur la sobriété comme « Fruggr » qui intègre également dans ses tableaux de bord des indicateurs de sobriété. Mais pas évident de s’y retrouver parmi tous ces outils, c’est pourquoi nous sommes plusieurs à tenter d’établir un panorama de ce qui existe sur le marché afin d’y voir plus clair.

La majorité des solutions comme Fruggr, GreenMetrics ou Verdikt sont en mode SaaS (Software as a Service). GreenSpector, qui véhicule un fort message de sobriété prépare aussi sa plateforme Saas. La société Aguaro a quant-à-elle pris le parti de développer le plugin « My IT Footprint » qui vient en surcouche de ServiceNow. Cette solution a été choisie par Bordeaux Métropole.

Points de vigilance sur la finalité de la démarche et l’affichage environnemental

Le GreenTech Forum envoie donc un message positif pour que toutes les forces se réunissent autour d’une cible commune de réduction de l’empreinte environnementale du numérique. A condition de ne pas perdre de vue l’objectif premier de la démarche numérique responsable. En effet, celui-ci est aussi souvent perçu comme un levier business. C’est un argument pour convaincre le top management certes, et il faut un budget pour ce type de projet, mais en aucun cas une finalité. Qui a entendu parler d’objectifs de développement durable durant le forum ? sans avoir assisté à toutes les conférences, ceux-ci ont été très peu voire pas du tout évoqués. Le risque est donc que des entreprises, ESN ou non, s’emparent du sujet dans un objectif purement commercial et que cela se transforme en greenwashing. C’est inévitable donc il va falloir être très vigilant sur l’affichage environnemental car les lois, labels et normes existants, de type « soft law », ne sont pas suffisamment contraignants. La définition de nouvelles normes et directives européeennes plus contraignantes sera un passage obligé et un contrôle de l’affichage environnemental à terme nécessaire.

Les territoires sont aussi très impliqués sur le sujet et ont un rôle majeur à jouer à travers la commande publique en intégrant dans les appels d’offre des clauses environnementales.

Bilan sobriété du GreenTech Forum et conclusion

Sobriscore

Les +

  • Absence de replay
  • Absence de documentation papier
  • Absence de goodies
  • Absence de gobelets plastiques

Les –

  • Porte-badges en plastique
  • Impacts liés aux mobilités
Sur une échelle de A à E, on peut donc évaluer le score sobriété (sobriscore) du GreenTech Forum à B

Conclusion

Le GreenTech Forum vient rejoindre la liste déjà longue des événements autour du numérique responsable (Design4Green, greenITDay, Trophées du Numérique Responsable…). Il pourrait être intéressant l’an prochain de proposer une version online afin de démocratiser l’événement et réduire l’impact des mobilités, à l’instar de ce qu’a fait l’UICN pour le Congrès Mondial de la Nature, même si c’était très enthousiasmant de rencontrer des acteurs que l’on ne connaissait que par écran interposé durant ces deux journées où, malgré quelques moments un peu tendus, l’ambiance était très conviviale, notamment au sein d’une communauté de freelances très impliquée sur le sujet et qui converge dans la même direction. Merci au GreenTech Forum d’avoir permis ces rencontres.

Lors de la plénière de clôture, Véronique Torner a d’ores et déjà annoncé les dates de la 2ème édition, qui se déroulera les 1er et 2 décembre 2022 au Beffroi de Montrouge.

Remerciements à l’agence Amalthea et au GreenTech Forum.