Ferréole Lespinasse est consultante et formatrice en sobriété éditoriale, un concept qu’elle développe depuis une dizaine d’années. Couplée à la sobriété numérique, la sobriété éditoriale offre de nombreux avantages qu’elle nous expose dans cet entretien.

Pouvez-vous présenter votre activité de sobriété éditoriale ?

J’accompagne les entreprises – TPE/PME, institutions et assos  – en conseil et formation pour leur production et leur rédaction de contenu.  Mon fil directeur est la sobriété éditoriale : comment rendre plus efficaces ses actions de communication. Aujourd’hui, une vieille croyance, un biais persiste : publier beaucoup de contenus est l’unique clé pour être audible. Or, l’internaute est saturé d’informations, le web est pollué d’un trop-plein de contenus et le producteur de contenu tellement occupé à produire de l’information qu’il en oublie ses objectifs stratégiques. Faisons un pas de côté avec la sobriété : en appliquer les principes permet de rendre plus performantes ses actions de communication.

Vous parlez également de communication raisonnée

La communication raisonnée vise à effectivement publier avec mesure. L’objectif est de respecter la charge mentale de l’internaute, de restreindre son choix des supports. On doit communiquer pour exister en tant qu’entreprise, comment le faire de manière plus raisonnée  ?

Comment est née cette idée ?

J’ai beaucoup travaillé pour des entreprises qui communiquaient sans se soucier de mesurer l’efficacité et l’impact sur le lecteur. En fait, elles communiquaient pour parler d’elles et non pas pour écouter l’autre.
J’anime des formations depuis dix ans : je constate à quel point la fonction communication est complètement submergée par ces réseaux à nourrir et à alimenter, jusqu’à en oublier sa vision stratégique …

Aujourd’hui, face à ce problème de surcharge informationnelle des internautes et à cette surenchère voulue par les réseaux sociaux qui demandent de toujours plus diffuser de l’information pour être plus visibles, il est important de remettre de la mesure et de la raison dans tout ça.  Pour redonner de la hauteur à la communication.

Avez-vous toujours travaillé dans la communication ?

J’ai fait de l’événementiel aussi en partie durant une dizaine d’années, ce qui m’a amenée à structurer mes manières de faire en visant à l’efficacité.

Que vous évoque la sobriété au sens large ?

L’écoconception vise à effectuer 20% d’actions pour 80% de résultats. Envisager ses actions avec une certaine sobriété, c’est ainsi mesurer ses actions, son effort au regard ce qu’on en retire.

La sobriété, plus globalement, c’est finalement en finir avec ces modèles de vie consuméristes et prédateurs de la planète. Elle est liée à la décroissance. Elle m’évoque beaucoup de joie, de légèreté, voire une liberté, car, elle invite à sortir de la dépendance matérielle et consumériste, pour se concentrer sur l’essentiel. C’est également apprendre à se satisfaire de ce qui est sans vouloir toujours plus.

Quels sont les avantages de la sobriété éditoriale ?

Les bénéfices de la sobriété :

  • alléger la charge mentale de l’internaute
  • alléger l’empreinte énergétique du web
  • alléger la charge de travail du producteur de contenu

et augmenter l’efficacité de ses actions, etc.

Ainsi, l’entreprise s’améliore en continu.

La sobriété éditoriale s’appuie sur plusieurs piliers :

1 – un discours incarné qui porte les valeurs de l’entreprise. Il s’appuie sur la singularité de l’entreprise. Faire émerger ce qui rend l’entreprise unique permet d’éviter d’être en concurrence. Plus besoin de s’époumoner sur un sujet.

2 – considérer son public comme un réseau de valeurs, avec laquelle on a vraiment envie de travailler et de créer de la valeur ensemble, non pas comme une cible marchande. (pour aller plus loin, ouverture dans un nouvel onglet : ton éditorial).

3 – rédiger des contenus travaillés, de qualité (pour aller plus loin, ouverture dans nouvel onglet : écrire un contenu de qualité).

4 – mettre en place un dispositif de communication sobre, sans s’éparpiller.

5 – anticiper le cycle de vie de son contenu, c’est-à-dire mesurer son contenu, le mettre à jour, supprimer, archiver.

Ainsi, la sobriété permet à l’entreprise de s’améliorer en continu, d’augmenter son expertise et sa crédibilité avec des contenus de qualité, de gagner en image en baissant sa fréquence de publication et en ne s’adressant qu’à la bonne cible, de préserver les collaborateurs pour leur permettre de s’épanouir et de mettre davantage de sens dans son travail. Une manière pour l’entreprise de porter l’alignement entre ce qu’elle dit et ce qu’elle fait.

Aujourd’hui, je constate la volonté d’aller vers une communication responsable : à ce sujet, je vous conseille le livre de l’ADEME (ouverture dans un nouvel ongletGuide de la communication responsable. Auparavant, quand la communication responsable était mentionnée, c’était pour présenter la responsabilité de l’entreprise ou ses engagements. Aujourd’hui, c’est aux contenus d’être responsables : accompagner l’internaute à devenir plus éclairé sur un sujet, à se forger une opinion, entre autres. Un contenu responsable ne vise pas à rendre l’internaute addict, n’attise pas le FOMO : la peur de manquer une information.

À quelle problématique répond en fin de compte la sobriété éditoriale ?

Elle répond à la problématique de la surcharge mentale de l’internaute, de la pollution effroyable du web, des contenus de divertissement, qui sont là pour divertir l’internaute. On est dans une société du divertissement, mais est-ce qu’il n’y aurait pas un peu de raison à apporter, un peu plus de sens à apporter ?

Et cela facilite également l’accessibilité numérique

L’idée est de veiller à avoir un contenu clair qui simplifie la compréhension de l’internaute. Donc effectivement, on rejoint les problématiques d’accessibilité sur ce sujet.

Vous formez un duo avec Sébastien Rufer qui lui travaille sur la sobriété numérique, comment vous avez été amenés à travailler ensemble ?

Nous sommes convaincus que l’éditorial et le développement web sont complémentaires pour un site internet. Ce binôme nous permet d’apporter une véritable efficacité à l’entreprise pour utiliser le web comme un véritable levier différenciant.

Sébastien Rufer (AngleWeb) «La sobriété numérique est une démarche globale qui va au-delà de l’écoconception. L’union de la sobriété numérique et de la sobriété éditoriale répond à des enjeux d’efficacité, d’utilité et de performance. Je travaille dans le même secteur géographique que Ferréole, nous avons été amenés à nous croiser et travaillons régulièrement ensemble, car nous partageons les mêmes valeurs et avons la même façon de travailler. »
Ouverture dans un nouvel onglet : AngleWeb

Utilisez-vous les cartes mentales pour structurer le contenu ?

Bien sûr, je travaille beaucoup avec la carte mentale. C’est l’outil que je propose en formation pour apprendre à écrire de manière efficace et structurée.

Vous êtes entrepreneur, vous avez créé Cyclop éditorial. Pouvez-vous me parler de votre parcours d’entrepreneure ?

Quand j’ai commencé en 2009, il n’était pas forcément évident de faire comprendre aux entreprises l’importance de ce contenu par rapport à l’outil. Cette absence d’écho, à mes débuts, m’a appris à rester alignée sur mes valeurs, sur mes idées et sur ce en quoi je crois. J’ai  expérimenté qu’en me positionnant différemment, en travaillant ma singularité, cela m’a permis d’être beaucoup plus juste avec ce que je faisais et du coup d’attirer le public qui me ressemble, avec lequel j’ai vraiment envie de travailler. Cela m’a ainsi invitée à aller au-devant de mes peurs, de ne pas craindre d’avoir des idées et des positions moins communes que les propositions actuelles sur le marché, mais qui me permettaient d’être dans mon identité propre.

Aujourd’hui ça a l’air de bien fonctionner

Je me sens très en phase avec les clients que j’accompagne. Ils me consultent pour ces notions de sobriété, et ça, c’est chouette.

Il y a donc une vraie demande autour de la sobriété

Oui, je pense. Il s’installe une défiance envers la communication à cause de cette boursouflure informationnelle. Revenir à l’authenticité, la sincérité, aux valeurs, ça parle à de plus en plus d’entreprises, notamment en ces périodes incertaines. On n’est plus dans l’esbroufe, le superflu, on est dans l’essentiel, dans l’intime presque.

Appliquez-vous la sobriété dans votre vie personnelle ?

La sobriété est aussi liée à l’éthique, ne serait-ce que dans le choix des outils que j’utilise pour travailler, éviter Google au maximum, être sobre numériquement… Et effectivement, dans la vie de tous les jours, comment je peux éviter de polluer au maximum, comment m’engager en mettant du sens dans mes achats, quitte à renoncer à la facilité ou au confort de cette société de consommation. Enfin, j’essaye de faire au mieux.

Que feriez-vous pour faire changer les gens, pour les faire aller vers plus de sobriété ?

Je ne sais pas si on peut faire changer les gens. L’idée c’est plutôt d’ouvrir des voies, pour montrer que des alternatives sont possibles, c’est aussi vivre mieux avec moins.

Forte d’une formation en lettres modernes et en communication et d’une solide expérience de gestion de contenu sobre, Ferréole Lespinasse prépare actuellement un guide de bonnes pratiques de sobriété éditoriale, dans la lignée de celui de Frédéric Bordage sur les bonnes pratiques d’écoconception web. Celui-ci devrait voir le jour d’ici 2022.

Elle vient aussi lancer le site (ouverture dans un nouvel onglet) Sobriété éditoriale (mise à jour du 29 septembre 2021)